Malvina Meinier, touchée par la grâce

Si vous êtes pressé d'étiqueter les artistes, de savoir dans quel bac (lui-même subdivisé) les chercher chez votre disquaire préféré, autant l'avouer, Malvina Meinier risque de vous décevoir. Mais si au contraire vous êtes ouvert au mélange des genres et prêt à vous laisser emporter vers des destinations inconnues, alors sa musique risque de vous happer pour ne plus jamais vous lâcher… Une authentique expérience auditive, c'est ainsi ce que propose "Home", son impressionnant dernier album en date: musicienne, compositrice, mais aussi chanteuse, elle y compose une symphonie où électronique pure et instrumentations classiques fusionnent en parfaite harmonie, et nous prend par la main pour un trip porté par sa voix céleste, dont elle joue comme d'une corde aux infinies inflexions.

pas seulement parce que mes disques y sont en vente, mais surtout parce que c'est l'endroit le plus convivial que je connaisse à Paris

"Le proprio Daniel est extra, il peut te parler de chaque artiste qu'il expose en détail, et tu peux y boire un verre et manger en bonne compagnie tout en écoutant de la bonne musique…"

Si l’œuvre de Malvina Meinier est foisonnante, multiple, c'est avant tout le classique qui nourrit depuis toujours son inspiration. Elle entre au Conservatoire à 6 ans, et est tout de suite "possédée par le démon de la musique". Pendant de nombreuses années, son professeur de piano Gérard Nougarol, qu'elle considère comme un véritable mentor, l'aide à développer une relation singulière à l’instrument, émotionnelle, presque spirituelle, ce qui l'amènera peut-être, dès l’adolescence, à ressentir comme une évidence le besoin de composer et de diriger, plus encore que de jouer. Elle étudie ainsi l'analyse et l'écriture, alors qu'elle se risque déjà à des compositions personnelles en parallèle, notamment remarquées par un festival Italien qui l'invite à plusieurs reprises. Un brin lassée par la rigidité de la structure, elle décide de quitter le Conservatoire à 21 ans pour enregistrer son premier album, "The Wise One", une œuvre ambiante écrite pour piano, voix et violoncelle.

je pourrais y passer des heures. Mon rêve serait de jouer mon album sur l'espace HOME dans le Planetarium… A bon entendeur!

Cette virtuosité à créer des atmosphères, à faire exister des univers qui n'appartiennent qu'à elle, la conduit presque naturellement à composer des bandes originales pour le cinéma, Elle est même récompensée pour son travail sur le film "Les Chevaux de Dieu" de Nabil Ayouch, sélectionné au Festival de Cannes 2012, et travaille actuellement sur une adaptation de 20 000 lieues sous les mers en film d'animation…

minuscule restaurant de sushis, tu as l'impression de manger chez toi tout seul, j'adore. C'est délicieux, et le maitre sushi prépare tout devant toi avec un savoir-faire total

"Home" impressionne par son audace et sa maîtrise, à l'opposé d'une certaine mode do it yourself faussement fauchée, qui manque de panache. On y ressent le côté control freak de l'artiste, un souci quasi maniaque du détail que Malvina reconnaît volontiers. Elle dit attendre énormément d’elle-même, et être terrorisée par le risque de se répéter. Malgré l'accueil positif fait au disque, qu'un projet d’une telle ampleur et d'une telle qualité ne suscite finalement qu’un succès d’estime est déconcertant, et même, allons-y franchement, assez injuste. Même si elle a bien des pistes pour expliquer cela: elle sort des concept-albums, cohérents de bout en bout, qui racontent une histoire, à une époque où la musique se consomme plus que jamais par morceaux, ou morceaux de morceaux. Il est impossible d’extraire des singles évidents de ses œuvres. "On n’arrache pas une page d’un livre", dit-elle dans une belle analogie. Il est aussi compliqué pour elle de jouer régulièrement en concert. Même si elle passe avec autant de bonheur de la scène intimiste d’un club comme le Silencio à l’autel de l’église Saint-Eustache, sa musique exprime sa pleine mesure dans des conditions difficiles à réunir.

au cas où vous n'auriez pas encore compris que je suis passionnée de SVT…

Malvina dit d'ailleurs connaître plus de succès à l’étranger. Peut-être son manque de reconnaissance ici a-t-il quelque chose d’assez français, dès qu’il s’agit de jeunesse, d’ambition, et sans doute aussi d’être une femme. En clair, d’être une jeune femme avec vraies ambitions dans la musique. Le droit à l’approximation n'existe pas, et l'obligation d’excellence est permanente. Sans en faire une excuse, elle sait ce que c'est que de devoir jouer les chefs d'orchestre de musiciens mâles parfois réticents à se laisser diriger par une fille avec "l'air d'une gamine de 12 ans", comme elle le dit elle-même…

parce que tout le monde devrait avoir vu un opéra une fois dans sa vie…

Sans label depuis quelques mois, Malvina travaille sur le successeur de "Home", notamment avec l'aide de Christophe Guida, titulaire du grand orgue de la basilique du Sacré-Cœur de Marseille. Toujours soucieuse de renouveler sa musique, son troisième album comportera certes des éléments de classique, d’électronique, mais les voies explorées et la tonalité générale seront entièrement neuves. Ce devrait être un disque en deux parties, l'une sur le corps, l'autre sur l’esprit, d'une grande variété de sonorités. Signe qu'elle est toujours en quête d'expérimentations, un beatboxer pourrait même collaborer au disque… Les ébauches sont largement esquissées, et se posera bientôt l'étape capitale de la production: elle aimerait faire produire l’album à l’étranger, et quitte à rêver, pourquoi ne pas le faire aux États-Unis ?

à chaque fois que j'entre à l'intérieur j'en ai des frissons partout…

"En plus d'y avoir donné un concert pour la sortie de mon 2ème album j'ai eu la chance quelques temps plus tard de jouer sur le Grand Orgue, tu as un peu l'impression d'être Dieu quand tu contrôles une machine pareille."

Si elle peut dérouter à la première écoute, la musique de Malvina Meinier reste très accessible, et exhale même parfois d'étonnants parfums pop. Les retours de spectateurs venus l’écouter dans des églises sont aussi positifs que dans les clubs branchés. Le 9 janvier, elle transformera la superbe écrin des Trois Baudets en cathédrale cosmique, pour un voyage dont vous n'êtes pas sûr de revenir…